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Échos de lutte

Interview du groupe féministe du Mantois FFFRAC (Fortes, Fières, Féministes, Radicales et en Colère)

A l’appel d’une petite trentaine de collectifs féministes, demandant un «plan d’urgence féministe [1]» à la sortie de la crise sanitaire, des actions ont eu lieu un peu partout en France ce 8 juin, dont à Mantes-la-Jolie, avec un rassemblement organisé par les FFFRAC, un groupe féministe local. C’est l’occasion de revenir avec elles sur cet événement, l’articulation de la lutte féministe et du combat anticapitaliste, l’histoire des luttes féministes locales, et sur quelques perspectives futures.

Comment les FFFRAC sont-elles nées ? Quelle est leur composition et quelle(s) spécificité(s) ont-elles au regard d’autres groupes féministes ?

Il y avait des féministes dans des groupes locaux révolutionnaires dès les années 70, après 68. En 1973 à partir de l’OCT des groupes féministes ont été créés pour faire du travail de terrain sur l’avortement à Mantes et aux Mureaux, en lien avec le Planning familial. Dans les années 80, un creux militant général a eu un impact sur les mouvements féministes – dans un contexte de deuxième vague du mouvement – avec une multitude de groupes pas forcément «lutte des classes» mais rien sur notre région.

L’idée de se retrouver entre femmes dans un groupe femmes a donné naissance à un groupe autour de Mantes-la-Jolie vers 1990, avec des personnes plus ou moins militantes. Ce groupe a pris l’habitude de se réunir une fois par mois sur un thème autour d’une bouffe chez l’une ou l’autre, parfois avec des réflexions politiques ou autour d’un film en séance publique. On faisait des sorties, des voyages, on allait à des spectacles féministes… Au début le groupe s’appelait «Groupe nanas» de façon informelle. Puis, dans le cadre d’actions féministes, il y a eu la volonté de se nommer dans l’espace public avec le nom «Nanas du Mantois», dans un contexte de retour des luttes féministes. Un tournant a été la première marche mondiale des femmes en 2000. Puis certaines du groupe se retrouvaient tous les 8 mars pour la manifestation.

Mais un clivage prit forme dans le groupe autour du fait de se revendiquer féministes et de parler féminisme. Des tensions sont apparues au cours d’événements comme la fête des mères ou de la protestation contre une campagne de pub Biocoop sur la peau douce des femmes et des fruits. Et pour des rassemblements féministes, certaines femmes du groupe ne se déplaçaient pas et un discours issu d’une position bourgeoise posait problème. Il y avait une trentaine de personnes dans le groupe. Certaines ne venaient que pour la convivialité entre femmes, sans volonté combative.

Depuis, il y a eu un renouvellement dans le mouvement féministe avec un autre discours et des personnes plus jeunes. Notamment autour du mouvement sur les violences faites aux femmes (octobre-novembre 2019) en particulier la manifestation du 25 novembre à Paris contre les féminicides. Au cours de ce mouvement mondial, rajeuni, avec des actions comme le flashmob des chiliennes, certaines du groupe femmes se sont dit qu’il fallait lancer un groupe local pour porter cette ligne. Le chant «nous sommes fortes, nous sommes fières…» nous a donné le nom. Au cours du premier flashmob le 21 janvier 2020, un flic nous a demandé «mais qui vous êtes?». On a répondu : «les FFFRAC» et c’était parti ! Le lien avec l’Assemblée de lutte du Mantois a permis, en particulier aux fêtes de soutien, de prendre contact, de se retrouver dans les luttes, de faire grossir le groupe et d’avoir une visibilité.

Une spécificité c’est d’être un groupe local, mais pas lié à un collectif national. On est plus proche du Collectif national des droit des femmes que de Nous toutes par exemple. On se rapproche peut-être plus d’un courant féministe lutte de classes. Nous sommes de fait un groupe non-mixte mais la non-mixité ne s’est jamais posée comme décision politique, et d’ailleurs des hommes se disent FFFRAC. Le groupe est très jeune donc les décisions ne se sont pas prises de façon tranchée, et le fait de commencer en non-mixité nous paraît important, au moins pour commencer, afin d’avoir un espace un peu «safe».

Dans quel contexte cet appel à manifester pour le 8 juin a-t-il émergé ? Quel en est selon vous le potentiel et quel bilan en tirez-vous ?

On a été mises au courant par On arrête toutes qui émane de la Coordination nationale des droits des femmes, qui cherchait à préparer la grève des femmes le 8 mars. Une coordination s’est montée pour organiser cette journée, afin de faire quelque chose tous les 8 du mois à la même heure. L’idée est de se dire qu’on ne va pas être visibles que le 8 mars et le 25 novembre, d’autant plus que la crise sanitaire a montré que les femmes étaient en première ligne dans des professions majoritairement exercées par des femmes, pas forcément que pendant le confinement d’ailleurs. Une tribune a été publiée pour demander un plan d’urgence féministe, qui a d’ailleurs suscité pas mal de débat sur la question des les femmes qui se revendiquent comme travailleuses du sexe. Certaines femmes abolitionnistes de On arrête toutes refusaient ce terme là. Les initiatrices de cette tribune sont des groupes féministes de Toulouse et de Nantes, beaucoup de femmes jeunes à l’intérieur, efficaces et ouvertes. Nous on a trouvé ça chouette. Il y a des réunions par visio régulières.

Localement ça été un bel événement, une soixantaine de personnes, bien visibles. L’idée de pouvoir refaire ça chaque mois permet d’avoir un fil rouge pour construire sur la durée en préparation du 8 mars. A la réunion de bilan national, ça a été positif, cela s’est bien passé partout. Certaines ont fait des chaînes avec des lettres, d’autres juste un apéro… C’était quand même principalement des militantes et beaucoup de jeunes. C’est assez diversifié. Y a eu des choses partout, et dans les réunions le fait qu’il se soit passé des rassemblements jusqu’à Mantes la Jolie a été très bien vu ! On a eu quelques retours positifs localement de la part de gens qui ont vu ou entendu parler du rassemblement. Nous on reprendra en septembre. On prend notre part dans cette coordination. Y a quelque chose en germe, donc on verra.

Quelles actions avez-vous menées, et quelle convergence possible voyez-vous avec des groupes féministes et/ou révolutionnaires et/ou anticapitalistes localement et (inter)nationalement ?

La convergence est une évidence depuis le mouvement contre les retraites localement. Nous n’avons jamais séparé la lutte féministe des luttes écologistes et anticapitalistes. Les profils individuels (au travail ou pas, syndiquées ou pas) font qu’on a des liens divers. Et puis on n’a pas découvert la lutte féministe hier ! Pour toutes les femmes qui sont dans les FFFRAC, qu’on a rencontrées un peu partout, on ne sait pas vraiment. Dans l’ensemble du groupe, c’est assez diversifié, mais c’est vrai que le noyau n’est pas constitué principalement de femmes des classes populaires.

On a pris contact avec les filles qui localement font les collages contre les féminicides. On les a informées du flashmob, mais elles n’ont jamais participé… Malgré tout, on est un groupe «pas jeune», avec des pratiques plus traditionnelles, et le contact n’a pas été suivi d’effet. Le mouvement sur les féminicides et les violences faites aux femmes est parfois un peu fermé sur d’autres questions comme le travail, les retraites…

Comment envisager une grève des femmes en France comme cela s’est fait en Suisse, au Canada et ailleurs ?

La grève des femmes, ce n’est pas que la grève au travail – qui elle pourra difficilement se passer des organisations syndicales – c’est aussi la grève de la double journée, mais c’est compliqué… Il y a pour les travailleuses régulièrement un appel à débrayer à l’heure à partir de laquelle les femmes ne sont plus payées à l’égal des hommes. Ici localement il s’agit surtout de lutter contre l’invisibilité des femmes et de porter la mobilisation féministe, il ne s’agit pas localement de construire directement la grève féministe. Il faudra du temps.

Ce dont on a très envie c’est de réunir toutes celles à qui on s’est adressées pour faire des événements, des conférences, construire la prise de conscience. La grève des femmes ne sortira pas de nulle part. Des actions, être visibles, régulièrement, et faire de l’éducation populaire. Se sentir moins seules pour se libérer soi-même.

contact : fffrac@protonmail.com

Facebook : FFFRAC

Note

[1] Face à la crise sanitaire, économique et sociale, un plan d’urgence féministe!, Médiapart, 22/05/2020 disponible à l’adresse :

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/220520/face-la-crise-sanitaire-economique-et-sociale-un-plan-durgence-feministe


À voir : Les FFFRAC ont réalisé pendant le confinement un live sur les femmes au travail pendant la crise sanitaire, avec des interviews de travailleuses en première ligne. Voir en ligne, «Live asselma ! Les femmes au travail en première ligne», une vidéo réalisée par des membres des FFFRAC et l’Assemblée de lutte du Mantois : https://www.youtube.com/watch?v=cop1UUKQLH8

Article initialement publié dans Courant Alternatif, n°302 été 2020