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Comme beaucoup de militants, j’ai rejoint les GJ locaux courant décembre et j’ai commencé à m’y investir vraiment à partir de janvier. Avant ça, vu de loin, j’ai été retenu non pas par la propagande qualifiant les GJ de racistes ou beaufs, mais plus par la présence de petits patrons, avec qui je n’avais pas très envie de fricoter. En fait, ils sont partis assez vite.
Avec le recul, je me rends compte que du coup j’ai raté une grosse partie de la période la plus intéressante du mouvement : entre le démarrage et le 8 décembre. Le mouvement a démarré peu après mon déménagement dans le Mantois, ce qui fait que je ne connaissais quasiment personne dans le coin, ni amicalement, ni politiquement. J’ai pris ma carte dans un syndicat au même moment. La plupart des rencontres politiques que j’ai faites datent au final de cette période, et mes camarades actuels parmi les plus proches sont pour la plupart des GJ ! Et quand tu croises des anciens GJ en faisant tes courses ou quoi, c’est toujours un plaisir.
Sur le péage de Buchelay, quand tu n’es pas sur le groupe facebook et que tu ne connais personne, c’est pas facile de rencontrer les gens, et au départ j’ai pas senti un accueil super chaleureux. Ça donnait l’impression qu’il y avait des petits chefs, et qu’il y avait une grosse méfiance de l’infiltration de flics. C’était bien plus simple de sympathiser sur les camps fixes, comme à Épône, où l’ambiance était carrément cool. Après, à Buchelay, l’organisation correspondait à un modèle beaucoup plus militant, avec des assemblées générales. D’un côté, c’était transparent, collectif et horizontal, mais d’un autre côté, ça bridait beaucoup de personnes, parce que trop formel. Y en avait qui préféraient préparer d’autres actions (ou ‘OP’ comme on disait) en petit groupe et qui ne se reconnaissait pas trop dans les discussions assez longues des assemblées, avec des codes plus militants.
Le péage était une action que la majorité des GJ voulait refaire tout le temps, mais il y avait un côté paradoxal. Les flics toléraient souvent qu’on y reste un certain temps, ça gênait pas énormément. En fait, ça coûte que 3 balles le péage à Buchelay et quand tu ouvres les barrières en fin de semaine, tu laisses passer que les bourges qui vont avec leur grosse bagnole dans leur résidence secondaire en Normandie. Le côté nostalgique de se retrouver sur le péage faisait un peu oublier que l’action était pas hyper pertinente…
Niveau actions, lors des manifs à Mantes, au final il y avait autant de monde qu’aux manifs syndicales. On décolle jamais des 300-400 personnes quelle que soit l’occasion ou le mouvement. C’était assez stylé cette période de se sentir légitime à aller n’importe où faire ce qu’on voulait : péages, barrières du parking de l’hôpital, manifs… Y avait un côté justiciers ou robins des bois de remettre le monde à l’endroit. Ça a continué après pendant le mouvement retraites (contre la retraite à points, 2019-2020), et d’ailleurs pas mal de GJ mélangent les deux mouvements dans leurs souvenirs. Localement, s’il y avait pas eu les GJ, le mouvement retraites aurait probablement été moribond et assez chiant. Là on se sentait d’aller partout : envahir des réunions de politicards, des vœux à l’hôpital, des dépôts de bus, des centres commerciaux… Ça a radicalisé certains syndicalistes un peu en manque, et ça a rappelé à beaucoup de GJ l’ambiance des débuts du mouvement avec des actions de blocages plus spontanées.
Étant à la fois syndicaliste et GJ, je me suis senti parfois schizo. Je me reconnaissais dans la spontanéité et la radicalité des, GJ dans sa composition de classe, etc., mais c’était que en dehors du travail. Sur mon lieu de travail, j’intervenais en tant que syndicaliste, parce que l’ambiance n’y était pas trop gilet… Au syndicat, la majorité des camarades s’en foutait de s’investir dans les GJ, alors même que certains avaient une culture révolutionnaire et devaient pouvoir reconnaître un mouvement radical ! Quand parfois en réunion syndicale t’es seulement 3 à couper les cheveux en 4 alors que la veille y avait 30 GJ en AG pour préparer plein d’actions, tu te poses des questions. Parfois, j’étais emmerdé, parce que quand une manif est déclarée par ton syndicat (si ça part en couille c’est ton camarade qui est emmerdé) et que tous tes copains GJ veulent partir en sauvage… Quand la manif plan-plan de « convergence » 15 juin est quand même une occasion de rappeler la répression subie par les jeunes lycéens, mais que la majorité des GJ n’écoute pas les prises de paroles… Je me suis senti plus d’une fois le cul entre deux chaises.
Des fois aussi, je me suis senti un peu pris au dépourvu. Quand on préparait la grève du 5 février, mais qu’à chaque fois que je causais avec un GJ, dans sa tête, c’était pas clair qu’une grève c’était arrêter le travail mais seulement une manif. Quand deux GJ m’ont, indépendamment, pris à part pour me montrer des autocollants ou des affiches antisémites. Quand une GJ était menacée d’expulsion pour impayés de loyer et que j’avais proposée qu’on organise une action mais qu’au final c’était pas du tout vu comme politique par le groupe mais juste de l’empathie ou de la pitié, et qu’accuser les salauds de proprios c’était pas du tout la ligne. Quand il y a eu volonté d’organiser des espèces de commandos après des rumeurs d’enlèvements d’enfants dans des camionnettes blanches proches des écoles (truc raciste anti rrom classique).
L’ambiance super sympa des camps, et le fait que ça faisait vraiment famille quand on y va souvent, ça avait des côtés super pour accueillir les plus précaires, abîmés par la vie. Par contre ça aidait pas à re stimuler le mouvement dans sa phase de décrue. Les discussions politiques étaient pas toujours simple, comme quand le journal Jaune (fait par des GJ communistes révolutionnaires) a circulé, et qu’il n’a pas du tout suscité de réactions.
J’ai souvenir d’un gus qui organisait la manif à Poissy en janvier qui était venu à Épône pour y appeler et qui était vraiment représentatif de la tendance de petit bourge. Il se vantait de gagner 4 000 balles par mois, se plaignait des taxes et voulait le RIC. D’ailleurs, la manif tout à fait inoffensive (contrairement à celle de Mantes) qu’il a organisée, a bien montré que c’était juste un membre des élites qui voulait domestiquer le mouvement pour les intérêts de sa classe de petits bourges.
La présence de militants (syndicaux et un peu politiques) a été globalement positive je pense, pour politiser certains problèmes et construire la mobilisation des retraites avec les GJ. En grosse majorité c’était des camarades de Solidaires (rail, industrie, éducation). Ça a eu l’effet de rechercher une certaine « discipline » très formelle dans la lutte, et sûrement d’accompagner le départ de certains de la première heure, mais aussi de faire des liens qui sont restés, et de radicaliser des syndicalistes, y compris pour les grèves qui ont suivi. La question de la répression a pu être posée comme collective et politique pendant le mouvement qui a suivi, contrairement aux GJ où, à part pour les plus militants, c’est resté très individuel.
Au final, politiquement, ça reste pour moi la période de lutte la plus intéressante, et enrichissante, humainement, politiquement et pratiquement !
Benoît