Nous présentons ici une chronologie, que nous voulons la plus complète possible, sur les assassinats de trois jeunes mantais par la police ou l’administration pénitentiaire, dans les années 90. Sont aussi présentées les suites judiciaires et les mobilisations impulsées pour demander justice. Merci de nous signaler toute erreur. Une analyse de cette période, à partir de sources plus militantes, fera l’objet d’une publication ultérieure.
« À quoi ça sert la nationalité française si on nous traite toujours de bougnoules ? »
Amina Ihich, mère d’Aïssa Ihich, à la police des polices
[Version mise à jour le 12 octobre 2025]
1989
« Avec des jeunes du Val-Fourré et quelques anciens, Youssef Khaïf participait à la création du Collectif Jeune, qui lutte contre les injustices quotidiennes que subissent les 17.000 jeunes du Val-Fourré, la plus grande cité d’Europe, avec la volonté, la rage et l’envie de faire exploser le consensus mortel de la répression des « cités maudites ». On le verra défiler des Mureaux à Paris, manifester contre la double-peine, participer aux réunions de Résistances des Banlieues (un collectif inter-cités qui donnera par la suite naissance au Mouvement de l’Immigration et des Banlieues). » (Que vaut la vie de Youssef ?, voir plus bas)
1991
25 mai : à la suite d’un refus de pénétrer dans une soirée à la patinoire municipale de Mantes-la-Jolie pour un gala de danse organisé par une association sportive proche de la police, des « jeunes » s’attaquent aux voitures des invités et aux véhicules de police stationnés. Des attaques de magasins d’un centre commercial auraient aussi eu lieu. Le déploiement de forces de l’ordre provoque des affrontements, qui se poursuivent le lendemain.
D’autres incidents du même type éclatent conjointement à Toulouse, dans le quartier de la Faourette, et à Carpentras, où huit véhicules sont incendiés.
Après la vague d’émeutes des années 80 (région lyonnaise), ces émeutes s’inscrivent dans un contexte national de manifestations violentes et de débordements nombreux dans les banlieues des grandes villes : en mars 1990 à Chanteloup-les-Vignes et Achères, en octobre 1990 à Vaulx-en-Velin, en mars 1991 à Sartrouville et à Meaux, en juin 1991 à Garges-lès-Gonesse et en juillet 1991 à Aulnay-sous-Bois
26 mai : Aïssa Ihich (19 ans), une fois rentré du travail (dans un fast food), dit à sa mère qu’il part prier à la mosquée puis chez un copain. Sa mère, Amina, ne le voyant pas rentrer la nuit ni le matin, et sachant qu’il était parti dans une tenue neuve avec des fringues de marque, suspecte qu’il s’est fait attaquer et racketter ses vêtements, potentiellement même tué car il est de faible corpulence et n’aurait pas pu se défendre. Lors de son interpellation, il aurait refusé de courir et sauter une barrière pour fuir la police contrairement au groupe de jeunes qui passait au même endroit que lui, pour ne pas abîmer ses vêtements, et parce qu’il n’a rien fait. Au matin (ou à 14h, selon les versions), son père, Amad, va voir au commissariat, car la nuit a été le théâtre d’émeutes. La police lui confirme qu’il est là, et, selon les versions, des médicaments sont transmis à la police ou pas. La police refuse au père de voir Aïssa, et on lui dit qu’il ne s’inquiète pas pour sa santé, car un médecin le verra, ce qui sera fait 4h plus tard. Michel Pérol, médecin, examine les gardés à vue et estime que leur état est compatible avec la détention. Aïssa se plaint au médecin d’avoir reçu des coups lors de son arrestation, le médecin a constaté des bosses douloureuses sur le crâne et des « lésions traumatiques mineures ». Il avait également signalé aux policiers et au médecin son asthme, et disposait d’un flacon de Ventoline, mais rien de plus, en cas de grave crise
Aïssa a été interpellé à 2h du matin, avec 5 autres jeunes du quartier, soupçonnés d’avoir lancé des pierres sur une voiture de police dans le quartier du Val-Fourré lors d’échauffourées avec la police. C’est un CRS qui l’a initialement interpellé, mais trois policiers de la police urbaine l’ont roué de coups, sans aucune raison
27 mai : 10h30 le père, Amad, et la sœur, Sonia, d’Aïssa reviennent au commissariat pour proposer des médicaments et sont de nouveau éconduits, au prétexte que sans ordonnance du parquet de Versailles, ils ne pourraient rien faire. Sonia parvient à apercevoir son frère depuis la cour, et constate que ses vêtements, pourtant neufs la veille, sont abîmés, déchirés, et tâchés de sang. On dit à Sonia d’aller à Versailles, au tribunal, dans l’espoir que le juge transmette à Aïssa des médicaments. La police appelle Amina, pour lui demander d’apporter le médicaments. Elle va au commissariat et transmet des médicaments et le carnet de santé d’Aïssa. Elle demande de nouveau à voir son fils, et celui lui est refusé.
13h25, à la fin de la garde à vue, le jeune homme fait une crise brutale, les pompiers le découvrent dans le coma. Des médecins tentent de le réanimer. Deux médecins tentent de le ranimer jusqu’à 14h46. Il décède à l’hôpital à 15h20 d’après la presse bourgeoise et les policiers, et en garde à vue d’après la famille. En effet, d’après Mohamed Hocine, Nordine du MIB a eu l’hôpital au téléphone, qui lui a dit qu’Aïssa n’était pas mort là-bas. La mère peut voir le corps, elle constate qu’il a du sang qui coulait par le nez et la bouche, une bosse de la taille d’une pomme de terre sur le côté gauche de la tête, des traces bleues sur les côtes (qui ne correspondent pas à des traces de massage cardiaque), des blessures aux genoux et à un pouce. Le corps de son fils est froid, et elle en déduit qu’il est mort au commissariat et pas à l’hôpital
Aïssa Ihich était élève de 1 G au lycée Saint-Exupéry, travaillant les week-ends dans un fast-food proche de la gare Saint-Lazare à Paris, inconnu jusque-là des services de police, il était le fils d’un ouvrier des usines Talbot (aujourd’hui Stellantis à Poissy), militant CGT.
Les parents appellent au calme, les élus ne sont pas bien accueillis au Val Fourré.
Dans une salle municipale rouverte pour l’occasion sur la dalle du centre commercial, une centaine de jeunes ont débattu avec des animateurs et des enseignants, plaidant en faveur de l’apaisement.
Des journalistes d’Europe 1 et de RMC, qui venaient d’interroger la famille, ont été roués de coups puis délestés de leur matériel
Un rapprochement évident est fait entre la mort d’Aïssa et celle de Malik Oussekine, en 1986, de par certains traits communs : élèves réputés sans histoires, leur santé fragile et leur faible corpulence.
Au Val-Fourré, une grosse solidarité se manifeste avec la famille, pour présenter ses condoléances, financièrement pour apporter de la nourriture, faire le ménage et la vaisselle de la part des plus âgés, et sous la forme de l’émeute ou en veillant entre le commissariat et l’immeuble pour les plus jeunes. La mère d’Aïssa dit ne pas avoir fait le ménage pendant un an.
28 mai : Edith Cresson, première ministre, se rend à la mairie de Mantes puis, accompagnée du maire Paul Picard, rencontre une vingtaine de jeunes au Val Fourré. De retour à la mairie, elle rend visite aux parents du jeune homme, Amina et Amad, les assurant de sa détermination à éclaircir les circonstances de la mort de leur fils (son soutien sera bien éphémère). Elle était surprise que le jeune homme n’ait pas « disposé des médicaments dont il avait besoin ». Une réunion à l’Agora débouche sur une volonté d’organiser une manifestation pour demander la libération des jeunes écroués.
Le ministre de l’Intérieur se prononce en faveur d’une réforme de l’organisation des gardes à vue dans les commissariats.
Rassemblement de protestation devant le lycée Saint-Exupéry, et les jeunes accusent les journalistes de salir l’image du Val Fourré et de déformer la réalité. Le cortège silencieux de plusieurs centaines de personnes s’est ensuite dirigé vers le commissariat, où une délégation a été reçue par le commissaire. Présence de SOS racisme et du Comité contre la double peine. Youssef Khaïf, membre actif du Collectif jeunes du Val-Fourré, prend la parole pour dire que la mort d’Aïssa est le résultat d’une soirée organisée dans le quartier mais interdite à ses habitants, qui n’ont le droit que de squatter les cages d’escalier et les halls d’entrée. Il ajoute, de façon prémonitoire malheureusement : « Et demain, ce sera le tour de qui ? ». Youssef participait régulièrement aux manifestations, aux Mureaux et à Paris, aux réunions de Résistances des banlieues et à la première organisée par le Comité national contre la double peine. Lakhdar Kherfi, militant au Val-Fourré, disait de lui « Youssef, c’est une grande gueule avec des dents de loup contre les injustices. » D’après Le Monde, « Les « marches pour l’égalité des droits », le militantisme associatif, la politique de gauche ne représentent pour [les jeunes comme Youssef] qu’autant de trompe-l’oeil et de voies de garage des années 80. » Toujours d’après Le Monde, il est condamné à deux mois de prison à Fresnes pour un casse d’une bijouterie au Val-Fourré en novembre 1989 et à six mois pour « la mise à sac de l’Agoretta, un lieu de rencontre municipal ouvert en plein centre commercial, et qui symbolise pour lui et pour d’autres le » flicage » des jeunes par la municipalité ». Son hostilité manifeste et assumée envers le maire et la police et sa volonté de radicaliser la lutte à la suite de l’assassinat d’Aïssa Ihich lui valent d’être connu comme le loup blanc des policiers locaux.
Un conseiller municipal du Front national et son épouse viennent échanger avec les habitants « glissant au passage quelques allusions antisémites censées ravir les beurs. Ils n’ont essuyé que quelques quolibets et sont repartis sans encombre, suivis par deux gorilles déguisés en journalistes. »
La famille d’Aïssa porte plainte, mais le juge d’instruction Charpier refusera toujours de qualifier les faits de « coups et blessures volontaires, considérant que les flics n’ont pas outrepassé leurs droits ».
Fin mai-début juin : la mort d’Aïssa Ihich provoque un regain d’intensité des émeutes, qui redoubleront quelques jours plus tard avec celle de Youssef Khaïf. Affrontements avec la police, pillages (Leclerc, le magasin de luxe Carrington, Val Sport, Vétimantes, une bijouterie, ainsi que Corail et des magasins des Bougimonts aux Mureaux), incendies des véhicules et bâtiments publics locaux (Limay, Aubergenville, Chanteloup-les-Vignes, Trappes, Achères, Sartrouville, mais aussi Garges-lès-Gonesse, Aulnay-sous-Bois, Meaux ou Sarcelles).
Sonia Ihich, en allant à l’hôpital chercher les vêtements de son frère, se verra répondre qu’ils ont été brûlés à Garche, où le corps d’Aïssa avait été transféré, sur instruction d’un haut gradé de la police. Ceux-ci auraient pu permettre de prouver qu’il avait été battu et traîné au sol.
29 mai : à l’Assemblée nationale, le Premier ministre en appelle à l’union et à l’imagination pour résoudre « le problème des quartiers défavorisés »
À partir de ce jour, des lettres et des appels anonymes sont envoyés à la famille, d’intimidation, de menaces, de reproches, souvent à caractère raciste
1er juin : rassemblement organisé par le cousin d’Aïssa Ihich (200 à 300 personnes), qui tient un discours d’apaisement et se pose comme interlocuteur légitime. Présence de nombreux journalistes
Assemblée général dans un gymnase (une centaine de personnes), discours bien plus libres. Préparation d’un concert de soutien le 15 juin, pour payer les frais d’avocats. Youssef Khaïf, qui sera assassiné une semaine plus tard par les flics, appelle à descendre dans le centre ville. La manifestation porte en tête de la colonne, une banderole : « Français, immigrés, une seule justice. » Des tensions entre les organisateurs de la manifestation et des des velléités de slogans et initiatives plus offensives. Minute de silence devant la mairie, en présence de Paul Picard, le maire, qui est visiblement mal à l’aise. Cortège retour au Val-Fourré, sous présence policière
Les députés votent le projet de loi d’orientation sur la ville. Ce texte « antighettos », adopté grâce à l’abstention du P.C.F., constitue le troisième volet de la politique gouvernementale contre l’exclusion et la ségrégation
Des tracts du groupe autonome Mordicus sont collés au Val-Fourré. les affiches présentent des paroles politiques et émeutières, sur un air de rap. Des commentateurs, comme le journal Le Monde, monteront en épingle un supposé lien entre le groupe Mordicus et les événements mortels du 9 juin, affirmant notamment à tort que ces tracts ont été distribués la veille du 9 juin
9 juin : à 1h45 une R 9 volée tente de forcer un barrage policier place Sainte Anne, en bordure du Val Fourré. Saïdi Lhadj, un marocain alors âgé de dix-huit ans, blesse mortellement Marie-Christine Baillet, une policière de 32 ans, sortie subitement de son véhicule et écrasée contre la portière. 20 minutes plus tard, Pascal Hiblot, un policier qui avait assisté à la scène tirait 3 balles en direction d’une Volkswagen Jetta volée qui passait sur les lieux en rentrant d’une soirée dansante, sans lien avec les événements précédents, tuant l’un des passagers, Youssef Khaïf, un Algérien de vingt-trois ans, d’une balle dans la nuque. Au moment de la mort de Marie-Christine Baillet, Youssef était encore à sa soirée, et n’a pas eu connaissance des événements. La voiture qu’il conduisait a bifurqué brusquement en voyant les gyrophares place Sainte-Anne, sur le retour du centre-ville où ils avaient fait le plein
Les organisations syndicales de policiers manifestent leur « colère ». Pour maintenir l’ordre dans les quartiers difficiles, elles réclament « des consignes et une ligne de conduite claire »
10 juin : Le procureur de la République de Versailles, Yves Colleu, refuse d’engager des poursuites contre Pascal Hiblot.
Le ministre de l’intérieur, Marchand, accrédite la thèse de la légitime défense du flic Hiblot, et présente Saïdi Lhadj et Youssef Khaïf comme des « tueurs de flics »
Plusieurs centaines de personnes sont regroupées devant le bâtiment où habitait Youssef, notamment les membres du Collectif jeunes du Val-Fourré, dont Youssef faisait partie
11 juin : d’après Le Monde, 5 000 policiers de toute l’Île-de-France défilent dans Mantes, de la place Sainte Anne au commissariat, derrière une banderole «Pour votre sécurité, Marie-Christine a payé». Les policiers démontreront leur hostilité à la venue de la Première Ministre Édith Cresson et du maire de Mantes-la-Jolie, Paul Picart, au commissariat en hommage à Marie-Christine Baillet, en leur tournant le dos
12 juin : les parents de Youssef, Kheïra et Bessafi, portent plainte contre X, avec constitution de partie civile pour homicide involontaire.
Après s’être présenté volontairement aux policiers, Lhadj Saïdi a été inculpé d’homicide volontaire, et écroué par M. Patrick Desmure, juge d’instruction au tribunal de Versailles. Deux autres Marocains de Mantes sont interpellés mardi 11 juin par les policiers du groupe criminel du SRPJ de Versailles : Mohammed Khaadi, dix-huit ans, un des passagers de la voiture, et Abderamhin Boudrari, dix-huit ans, présent dans le véhicule ont été inculpés, puis écroués, pour vol, recel de véhicule, violences sur agents de la force publique, et dégradations. RTL et Le Monde relaient des informations de journaflics comme quoi les personnes interpellées «appartiennent à un groupe [islamiste intégriste] qui était connu, répertorié, fiché, écouté, surveillé par les RG»
13 juin : d’après Le Monde : «Selon le maire, M. Paul Picard, la « mouvance gauchiste libertaire » du journal Mordicus avait une « réelle influence » sur Youssef et certains de ses camarades. Des allégations démenties par Mordicus»
Mohamed Hocine est convoqué par la police, auditionné comme suspect d’être le cerveau des émeutes, au prétexte que les cocktails Molotov utilisés étaient tous fabriqués de la même manière et que depuis les différents endroits qui se sont embrasés, des appels ont été donnés au cabinet du préfet pour revendiquer les émeutes et exiger l’incarcération des policiers assassins. Il ressort libre, et les flics l’avertissent qu’ils seront toujours derrière lui, et l’auront un jour
14 juin : un quatrième jeune homme, un Français de seize ans, a reconnu être l’un des deux passagers de la voiture qui a percuté et tué la policière Marie-Christine Baillet, et a été inculpé de « vol, recel, violences à agent et dégradation » par M. Patrick Desmure, juge d’instruction à Versailles, et écroué
13 septembre : inculpation de Pascal Hiblot (laissé en liberté) pour « coups mortels », à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile déposée par Mes Olivier Fontibus et Alain Mikowski

1992
Un collège d’experts avait accrédité l’idée d’une causalité entre les coups reçus par Aïssa en garde à vue et la crise d’asthme mortelle. Co-auteur du rapport d’experts, le professeur René Pariente a rappelé que les coups avaient un lien indirect avec le décès puisqu’ils avaient pu jouer « un rôle favorisant la crise d’asthme ».
Février : le docteur Michel Pérol, médecin-expert, a été inculpé d’ « homicide involontaire » pour avoir autorisé un maintien en détention sans avoir mentionné l’état asthmatique d’Aïssa
Juin : Une reconstitution des circonstances de la mort de Youssef Khaïf montre que Pascal Hiblot ne pouvait pas se sentir menacé
1993
La polémique sur la mort d’Aïssa Ihich en garde à vue aboutit à une réforme de la garde à vue autorisant une visite du médecin dès le début de la mesure
1996
8 juillet : les gendarmes prennent en chasse le jeune Sada, (originaire de Mantes) accusé de vol de moto. Ce dernier prend peur et plonge dans la Seine. Il se noie et meurt… Immédiatement, la nouvelle se répand au Val Fourré et un climat de tension s’installe sur le quartier entre les jeunes et la police. Contrôles d’identité systématiques, présence d’escadrons de CRS. Le lendemain en soirée, des affrontements finissent par éclater entre jeunes et policiers. Jawad Zaouiya, un autre jeune de Mantes, est arrêté dans son foyer familial… Après sa garde à vue, un juge le place avec d’autres jeunes du quartier en détention provisoire au centre pénitentiaire de Bois d’Arcy. Il se retrouve en cellule avec deux jeunes de son âge, Hassan et Abdellah.
23 juillet : vers 1 h 20 du matin, deux jeunes gens, Jawad Zaouiya, vingt ans, de Mantes-la-Jolie, et Hassan Barkouch, de Poissy, sont découverts morts, asphyxiés, dans une cellule de la prison de Bois-d’Arcy.
Le père de Jawad, Salah, lance une procédure judiciaire contre l’État : «Nous portons plainte et nous nous constituons partie civile. Le parquet ouvre une information contre X. pour homicide involontaire, entrave à l’arrivée des secours, non assistance à personne en danger, abstention volontaire de combattre un sinistre.»
10 décembre : après une enquête sommaire basée sur différentes expertises, la procédure a été classée sans suite par le Parquet de Versailles. Selon l’expert en toxicologie auprès du Tribunal de Versailles, les matelas n’auraient rien à voir avec l’asphyxie des deux détenus.
1997
Mars 1997 : Henri Leclerc et Philippe Sarda, les avocats de la famille d’Aïssa Ihich, ont fini par obtenir l’annulation du non-lieu ordonné au bénéfice des policiers. M. Arnould, président de la chambre d’accusation de Versailles, a donc finalement mis en examen Bruno Lefèvre et Eric Mathelin, pour « violences commises avec arme par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions ». Ces policiers sont soupçonnés d’avoir roué de coups de matraque et de manche de pioche le jeune Aïssa, dont la corpulence était frêle. Ces faits sont connus depuis l’origine, par le témoignage, publié dans Le Monde, d’un CRS qui aurait tenté de s’interposer. Ils ont été confirmés récemment par la déposition d’un autre policier qui a recueilli, pendant la garde à vue, le récit du jeune homme selon lequel il avait été frappé violemment par des policiers ne portant pas de casque
Juillet 1997 : Saïd Lhadj, qui a tué involontairement la policière Marie-Christine Baillet, a été condamné à dix ans de prison et à 400 000 F de dommages-intérêts
25 septembre : M. Charpier, juge d’instruction « ami de la police » et connu pour ses idées d’extrême-droite, remplaçant le juge Desmure, a fini par notifier aux parties la fin de son instruction par rapport au meurtre de Youssef, mais cinq mois après l’expiration des délais légaux, le procureur n’a toujours pas fait connaître ses réquisitions. Il devrait le faire incessamment et demander un complément d’information qui, s’il est accepté par le juge, reportera une fois de plus le procès aux calendes
1998
21 janvier : mis en examen (pour le même chef que Bruno Lefèvre et Eric Mathelin) de Jean Battistutta, qui, le soir du drame, supervisait les opérations menées par le corps urbain de police de Mantes lors de l’arrestation d’Aïssa
30 janvier : à Versailles, Michel Pérol, le médecin qui avait examiné Aïssa lors de sa garde à vue, et les trois policiers ayant procédé à son interpellation mouvementée ont comparu respectivement pour homicide involontaire par « négligence » et « violences commises avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions ».
1er juin : une ordonnance de non lieu est rendue par rapport à la plainte de Salah Zaouiya. La décision est contestée auprès de la Cour d’appel de Versailles
5 juin : réunion publique, à 20 h 30, à l’Agora, parents, avocats, représentants du Syndicat de la magistrature et de l’Observatoire international des prisons
11 juin : affaire Jawad et Hassan classée sans suite. Le père de Jawad annonce « poursuivre la procédure devant une autre juridiction. »
13 juin : à Mantes-la-Jolie, 14 heures, du centre commercial Mantes 2 pour arriver devant le palais de justice, une manifestation des « banlieues de l’injustice » réclamant la justice en banlieue pour Aïssa, Youssef et Jawad
28 juillet : le juge Charpier conclut son instruction (qu’il aura fait durer huit ans, alors qu’aucune pièce n’esta ajoutée au dossier depuis 1995), par un non-lieu pour Pascal Hiblot. Le MIB évoque une « déclaration de guerre ». Le parquet du tribunal de grande instance de Versailles a fait appel de cette décision
1999
13 janvier : un complément d’information est demandée par Salah Zaouiya.
Après l’association Mémoire pour Jawad, création par Salah de l’Aflidd (Association des familles en lutte contre l’insécurité et les décès en détention) pour mettre les familles de prisonniers en relation.
10 février : non-lieu de Pascal Hiblot infirmé par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Versailles
9 juin : le parquet général de la cour d’appel de Versailles a requis, le renvoi en correctionnelle pour « homicide involontaire » du docteur Michel Pérol. L’avocat général a demandé la confirmation du non-lieu prononcé par le juge d’instruction à l’encontre des cinq policiers mis en examen
2000
Des réunions publiques concernant l’assassinat de Youssef Khaïf sont organisées presque chaque année à Mantes, et la famille de Youssef intervient régulièrement dans le cadre de la campagne Justice en banlieue. L’affaire devient un symbole de lutte contre la partialité de la justice concernant la police
22 mars : la chambre d’accusation de la cour d’appel de Versailles ordonne le renvoi de Pascal Hiblot devant un jury d’assises
13 septembre : une confirmation du non lieu est prononcée dans l’affaire Jawad Zaouiya

2001
10 janvier : Michel Pérol, le médecin qui avait examiné Aïssa lors de sa garde à vue, et les trois policiers (Jean Battistuta, Bruno Lefèvre et Eric Mathelin) ayant procédé à son interpellation mouvementée ont comparu respectivement pour homicide involontaire par « négligence » et « violences commises avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions ». Au cours du procès, des CRS présents sur place ont témoigné contre la police urbaine à propos de la brutalité de l’interpellation d’Aïssa, les accusant de l’avoir roué de coups. Le CRS Jean-Paul Paolini, indique que « la situation ne le justifiait nullement » puisque le jeune Aïssa, particulièrement frêle (1,66 m pour 45 kg), était immobilisé au sol. Selon M. Paolini, les policiers auraient traîné l’adolescent et lui auraient « porté plusieurs coups de pied » en le ramenant dans leur véhicule
30-31 janvier : procès des trois flics poursuivis pour la mort d’Aïssa Ihich
20 mars : le tribunal correctionnel de Versailles a condamné le médecin Michel Pérol à un an de prison avec sursis pour homicide involontaire par « négligence ». Deux des policiers poursuivis pour violences aggravées, Jean Battistutta et Eric Mathelin, se sont vu infliger une peine de dix mois de prison avec sursis. Le troisième, Bruno Lefèvre, avait été relaxé au bénéfice du doute. Le médecin et les deux policiers condamnés ont fait appel
10 juin : recueillement en souvenir de Youssef au Val Fourré, en présence de militants du MIB. Lancement de la campagne « Que vaut la vie de Youssef ? », en vue du procès en Assises en septembre. Au même moment, à la Collégiale, en centre-ville, se déroule une messe à la mémoire de Marie-Christine Baillet
26-28 septembre : procès en Assises du policier Pascal Hiblot à Versailles, mobilisation du MIB devant le tribunal. Un dispositif policier humiliant canalise les soutiens de la famille de Youssef à l’écart, et les empêche d’assister à l’audience en nombre. Le palais de justice est barricadé. L’avocat général avait requis le sursis, mais le policier est acquitté. Khérira Khaïf, la mère de Youssef, dénonce « un permis de tuer », et Nadia, la sœur de Youssef, souligne le deux poids deux mesures entre la peine de Saïd Lhadj et le jugement de Pascal Hiblot
29 septembre : marche vers le lieu de la mort de Youssef
12 octobre : le MIB appelle à se rassembler sur la dalle du Val Fourré à 16h30 pour «passer à l’action»
14 octobre : journée de réflexion, après le procès, organisée par le MIB sur la dalle du Val Fourré, après le visionnage du documentaire « Nous sommes tous des Youssef »
4-5 décembre : procès en appel des policiers et du médecin impliqués dans la mort d’Aïssa. Une nouvelle fois, les policiers accusent les CRS d’avoir monté le scénario

2002
6 février : en appel, Michel Pérol a vu sa peine d’un an de prison avec sursis confirmée. Celle des policiers Jean Battistutta et Eric Mathelin a été réduite de dix mois de prison avec sursis à huit mois, suffisant pour leur permettre de bénéficier d’une amnistie. Selon l’avocat des prévenus, Olivier Combe : « La loi de 1995 autorise l’amnistie des condamnations pénales inférieures à neuf mois. Ce qui fait qu’il n’y a pas de peine, et donc, il n’y a pas de sanction sur le plan professionnel, ni d’inscription sur le casier judiciaire. Les deux policiers peuvent poursuivre leur carrière normalement.»
2003
17 octobre : 1ère audience au Tribunal administratif de Versailles concernant la mort de Jawad. La Commissaire du Gouvernement est défavorable à la requête, et rejette la demande en affirmant que « si Jawad est mort c’est la faute à pas de chance». Salah peut s’exprimer pour la première fois de vant une Cour. Le juge décide de ré-ouvrir le dossier et demande de produire un nouveau mémoire
2004
18 mai : les juges administratifs estiment qu’ « en incarcérant trois jeunes gens dans une cellule de 9m2 en méconnaissance de la réglementation concernant l’enfermement individuel des détenus de moins de 21 ans, l’Administation Pénitentiaire a fait courir à Jawad Zaouiya un risque spécial qui l’a privé de chance de survie» et condamne l’État. Salah fait appel (une seule faute reconnue paraît insuffisante), la Chancellerie aussi
2006
6 avril : dans l’affaire Jawad, la Cour d’appel va plus loin et distingue trois fautes : la mousse des matelas toxiques, le système d’évacuation des fumées inefficace et le local anti-incendie inaccessible (une première qui risquait de créer une dangereuse jurisprudence). Pascal Clément, ancien Ministre de la justice demande un pourvoi en cassation.
2008
17 décembre : le Conseil d’État condamne l’État français pour les trois fautes lourdes liées à la mort de Jawad. d’après Le Parisien : «Le conseil d’Etat a reconnu la responsabilité du ministère de la Justice dans la disparition de ce jeune homme de 20 ans, mort à la prison de Bois d’Arcy après avoir inhalé les fumées toxiques d’un matelas incendié par un de ses codétenus. La famille de Jawad touchera 15 000 € en réparation du préjudice subi. « Cette somme, ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est de n’avoir jamais lâché le morceau, d’avoir été costaud pour la mémoire de mon fils, confie Salah, le père de Jawad. Depuis le début, on me disait que je m’attaquais à un mur. » »
2011
8 juin : comme chaque année pour en célébrer l’anniversaire, près de 250 policiers ont rendu hommage à Marie-Christine Baillet au cours d’un tournoi de football à Magnanville
2016
4 juin : rassemblement en mémoire de Jawad, au Val Fourré. La victoire de 2008 en Conseil d’État est rappelée. Une exposition est consacrée à Jawad au Collectif 12. D’après le Parisien, « Cette victoire a changé le rapport de forces pour les familles confrontées à des drames similaires. « Sur un plan juridique, il y a très clairement un avant et un après Jawad, témoigne François Bès, coordinateur régional de l’observatoire international des prisons (OIP). Auparavant, seul le petit personnel était condamné et les indemnisations étaient dérisoires. Désormais, et depuis 2008, l’Etat est plus souvent condamné et, au final, c’est l’ensemble du système carcéral qui est interrogé. »
2021
29 mai : hommage à Aïssa au square des Peintres au Val Fourré, à l’initiative de Younès Zaouiya, ancien habitant du quartier, frère de Jawad en 1996. Pour lui, « On n’est pas là pour faire une polémique, on est là pour le devoir de mémoire ». Il a fondé l’association Mémoire pour Jawad Zaouiya, et fait de la prévention auprès des jeunes
Sources de presse :
- La mort d’un jeune à Mantes-la-Jolie et le débat sur la ville à l’Assemblée nationale Le Val-Fourré en quête de vérité, Le Monde, 29 mai 1991
- Grogne et émotion chez les policiers, Le Monde, 13 juin 1991
- L’enquête sur les événements du 9 juin : Trois personnes gardées à vue à Mantes-la-Jolie, Le Monde, 13 juin 1991
- Inculpation du conducteur de la voiture qui a tué la policière de Mantes-la-Jolie, Le Monde, 14 juin 1991
- Nouvelle inculpation à Mantes-la-Jolie, Le Monde, 16 juin 1991
- Manifestation le 13 juin pour réclamer justice, Le Parisien, 2 juin 1998
- Sept ans après les émeutes, Mantes-la-Jolie attend toujours que justice soit rendue, Le Monde, 26 juin 1998
- Non-lieu pour le policier responsable de la mort d’un jeune du Val-Fourré en 1991, Le Monde, 30 juillet 1998
- Les émeutes de 1991 à Mantes-la-Jolie n’ont toujours pas trouvé leur épilogue judiciaire, Le Monde, 17 janvier 1999
- Sept ans après, la justice revient sur le non-lieu du Val-Fourré, Libération, 11 février 1999
- JUSTICE : renvoi en correctionnelle pour « homicide involontaire » du docteur Michel Pérol, Le Monde, 11 juin 1999
- Le décès en garde à vue d’Aïssa Ihich examiné par la justice, dix ans après, Le Monde, 1er février 2001
- Les jeunes de Mantes réclament justice, Le Parisien, 11 juin 2001
- Le policier jugé dix ans après le meurtre, Le Parisien, 27 septembre 2001
- Un policier jugé pour avoir tué un jeune lors des émeutes de 1991 à Mantes-la-Jolie, Le Monde, 28 septembre 2001
- Le policier Pascal Hiblot, qui avait tué un jeune à Mantes-la-Jolie en 1991, a été acquitté, Le Monde, 1er octobre 2001
- Les jeunes s’interrogent après l’acquittement du policier, Le Parisien, 15 octobre 2001
- Les proches de Jawad font plier l’Etat, Le Parisien, 18 décembre 2008
- Il y a vingt ans, le Val-Fourré s’embrasait, Le Parisien, 9 juin 2011
- Mantes-la-Jolie : ce que la mort de Jawad en 1996 a changé dans les prisons, Le Parisien, 3 juin 2016
- Mantes-la-Jolie. Il y a 30 ans, Aïssa Ihich décédait en garde à vue, Le Courrier de l’Atlas, 27 mai 2021
- Mantes-la-Jolie : 30 ans après la mort d’Aïssa Ihich au commissariat, « c’est comme si c’était hier », Le Parisien, 29 mai 2021
- Mort de Nahel : «Avant, on avait peur de la police», témoigne cet ancien émeutier de Mantes-la-Jolie, Le Parisien, 1er juillet 2023
Autres sources :
- Que vaut la vie de Youssef ?, blog Quartiers Libres : https://quartierslibres.wordpress.com/2013/08/11/que-vaut-la-vie-de-youssef/
- Les dernieres heures de Aissa, Archive INA
https://www.youtube.com/watch?v=qO5C9kwSPIU - Émission de radio d’interview de la famille d’Aïssa Ihich par des membres du MIB, diffusée sur Radio Fréquence Paris Plurielle quelques jours avant le procès https://www.rfpp.net/spip.php?article582
- Marche silencieuse à Mantes la Jolie, Archive INA
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cac92008594/marche-silencieuse-a-mantes-la-jolie - Ambiance et réactions à Mantes la Jolie : Quartier de Gassicourt aujourd’hui, Archive INA
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cac91030160/ambiance-et-reactions-a-mantes-la-jolie-quartier-de-gassicourt-aujourd-hui - Que vaut la vie de Youssef ?, Reportage Collectif dirigé par Mogniss H. Abdallah, 33 min. 23 » – 2001, Production agence IM’média – avec la participation de Zalea TV et du MIB
https://www.youtube.com/watch?v=NN7cGT9QliY - Fiche Wikipédia des Émeutes de 1991 à Mantes-la-Jolie https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89meutes_de_1991_%C3%A0_Mantes-la-Jolie
- France. Mort d’un jeune beur placé en garde à vue après des incidents dans une banlieue de Mantes-la-Jolie. ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS https://www.universalis.fr/evenement/25-mai-1er-juin-1991-mort-d-un-jeune-beur-place-en-garde-a-vue-apres-des-incidents-dans-une-banlieue-de-mantes-la-jolie/
- Brochure Ratonnades, Chronologie (2009). Disponible sur infokiosques : https://infokiosques.net/spip.php?article677
- Salah Zaouiya, le tonton des luttes, StreetPress, 7 juin 2024, https://www.streetpress.com/sujet/1717159846-salah-zaouiya-le-tonton-des-luttes
- Mantes-la-Jolie, qui a oublié ?, Down With This, 17 juin 2012, https://downwiththis.fr/mag/mantes-la-jolie-qui-a-oublie/
- Mémoires de Mohamed Hocine